Après la faillite, le chaos des finances de FTX apparaît au grand jour

Publié le 19 nov. 2022 à 12:48Mis à jour le 19 nov. 2022 à 17:00

Comme un calendrier de l’avent. Chaque jour, depuis la faillite de l’entreprise spécialisée dans les cryptomonnaies FTX, c’est une nouvelle case qui s’ouvre, emplie de révélations sur les dessous plus que douteux de la société et les pratiques de son fondateur, le sulfureux Sam Bankman-Fried communément appelé par ses initiales « SBF ».

Vendredi dernier, FTX s’est placé sous le régime de faillite aux Etats-Unis, actant sa déroute après de sérieux doutes sur le bilan de sa plateforme d’échange Alameda Research. Depuis, son dirigeant, l’ange déchu SBF , se répand en excuses et en diverses déclarations sur Twitter, tentant de noyer le poisson. Mais de jour en jour, le scandale prend une ampleur impressionnante.

A tel point que la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) américaine incite les lanceurs d’alerte à lui livrer le maximum d’informations en échange de millions de dollars pour pouvoir faire la lumière sur la gestion de FTX. De son côté, des membres du Congrès américain se disent prêts à interroger sous serment le fondateur.

. Enquête des autorités aux Bahamas

Dans le sillage du dépôt de bilan de FTX, les autorités des Bahamas, îles où sont domiciliés la maison mère du groupe et son fondateur, ont annoncé dimanche soir le lancement d’une enquête pour savoir si des fautes « de nature criminelle » ont été commises. Tous les actifs numériques de FTX Digital Markets ont été transférés vers un portefeuille contrôlé par la Commission des valeurs mobilières des Bahamas.

Une mesure prise alors que les fonds de FTX ont connu d’étranges péripéties. D’après le cabinet d’analyses en cryptomonnaies Elliptic, « 477 millions de dollars auraient été volés, tandis que le reste aurait été transféré dans un stockage sécurisé par FTX elle-même », un « cold wallet ». Aux Etats-Unis, la Security and exchange commission et la CFTC ont elles aussi ouvert des enquêtes.

. Gestion chaotique

Acculé, SBF a rendu son tablier vendredi dernier. Il a été remplacé par John Jay III , qui sera chargé de procéder à la liquidation de l’entreprise. Dans les documents remis au tribunal du Delaware, le constat fait par le nouveau patron est sans appel : « Jamais, dans ma carrière, je n’ai vu un échec aussi complet au niveau des procédures internes de contrôle de l’entreprise ».

La liste des manquements est longue : pas de livres de comptes appropriés ; messagerie du groupe non sécurisée ; utilisation de logiciels pour dissimuler l’utilisation des fonds des clients. Seules deux personnes, SBF et Gary Wang, le cofondateur de FTX, avaient accès aux actifs numériques des principales entreprises du groupe…

. Confusion entre les finances de SBF et celles de FTX

Mais les révélations ne s’arrêtent pas là. Le dossier expose ce qui ressemble de plus en plus à des détournements de fonds. On apprend que SBF se serait octroyé un emprunt d’un milliard de dollars auprès d’Alameda Research. Nishad Singh, responsable de l’ingénierie chez FTX et proche de la direction, aurait quant à lui bénéficié d’un prêt de 550 millions de dollars.

. Gouvernance douteuse

Les liens même entre les collaborateurs surprennent encore davantage. FTX n’a tenu aucun registre précis de ses employés. Il est à l’heure actuelle impossible de savoir le nombre exact de membres de chaque entité du groupe.

Il n’y avait pas non plus d’organigramme clair au sein des équipes. Toutes les discussions se faisaient via des messageries « chat » dont les messages s’effaçaient automatiquement au bout d’un laps de temps relativement court. De même pour les importantes décisions liées à la gestion de l’entreprise : il n’y a quasiment pas de traces écrites.

Le dossier remis au tribunal fait aussi état d’une gestion surprenante des notes de frais. Lorsqu’un employé demandait le remboursement d’une dépense, cela se faisait via un « chat », et les managers avaient pour habitude d’approuver les notes de frais par un simple emoji.

. Respectabilité achetée

FTX s’affichait fièrement comme la société « la plus réglementée » du paysage des cryptomonnaies. Un atout qu’il mettait en avant pour tenter d’attirer une clientèle institutionnelle. Mais plutôt que de soumettre des demandes de licences – processus long et aléatoire – le groupe a préféré acheter des sociétés déjà reconnues par les régulateurs. FTX aurait dépensé 2 milliards de dollars en « acquisition à des fins réglementaires » d’après les documents consultés par Reuters. En 2021, il avait acquis la société LedgerX, obtenant d’un seul coup trois licences de la CFTC.

FTX avait signé en début d’année, selon Reuters, une prise de participation dans la plateforme de trading électronique IEX Group. L’objectif était également de créer un contact privilégié avec les gendarmes de marchés afin d’obtenir des évolutions de réglementation favorables aux cryptoactifs.

. Enquête complexe

Malgré la mise au jour de nombreux éléments accablants, le volet judiciaire de l’affaire reste flou pour l’heure. Le siège de la société est domicilié aux Bahamas, un pays qui offre une réglementation plus clémente aux entreprises financières, et moins de garanties pour les clients.

Mais d’autres entités sont domiciliées aux Etats-Unis, et se sont placées sous le régime de faillite, sous le regroupement FTX. us. La séparation géographique de la société complique les investigations. Les conseillers qui supervisent la faillite ont demandé aux législateurs d’élargir la juridiction de la CFTC pour que celle-ci puisse agir si elle estime que les clients ont été affectés par les activités d’une entreprise située hors des Etats-Unis.