
Connaissiez-vous le Tether (USDT) ? C’est, derrière le bitcoin et l’ether, la troisième crypto la plus valorisée du marché. Plus précisément, une crypto stable (stablecoin), indexée sur la valeur du dollar (tout comme l’USDC de Circle). Sa valorisation en mars, selon Coingecko : 79 milliards de dollars. La valeur de son jeton : toujours 1 seul et unique dollar. Garder cet ancrage est en effet ce qu’il y a de plus précieux pour un stablecoin. Là est sa valeur.
Mais l’USDT est aussi la crypto qui a chaque jour le plus important volume d’échanges : 30 milliards de dollars sur 24 heures contre 19 milliards pour le bitcoin, ou 10 milliards pour l’ether. Cet appétit pour l’USDT est lié à sa stabilité, dans une « guerre des stablecoins » où ses concurrents ont souffert. Le BUSD (Binance) a été interdit d’émettre au mois de février. Le principal concurrent, USDC , a récemment perdu son ancrage au dollar, menaçant de provoquer un nouveau cataclysme dans la crypto. Le Terra , lui, est mort en mai 2022.
Hyperdollarisation
« L’USDT participe à l’hyperdollarisation du monde, car Tether permet d’envoyer et de sécuriser des dollars partout à travers le monde », explique aux « Echos » Paolo Ardoino, le directeur technique de Tether, en visite en France cette semaine pour la Paris Blockchain Week. En face, son équivalent en euro ne pèse absolument rien : 2 millions de dollars.
Bien que l’euro soit la deuxième monnaie la plus échangée au monde, comment expliquer un tel écart avec le dollar ici ? « Les gens veulent du dollar or les Européens disposent déjà d’une monnaie fiduciaire forte (l’euro) et de faibles frais de transaction grâce à leur système bancaire », affirme celui qui est aussi directeur technique de Bitfinex, la plateforme d’échange crypto derrière Tether – et dont les liens ont été mis en cause par la justice américaine. Autrement dit, ils n’auraient pas besoin d’un stablecoin basé sur l’euro.
Pierre angulaire
Les stablecoins sont un élément essentiel, voire indispensable de l’écosystème crypto car ils sont censés échapper aux fluctuations soudaines et parfois violentes des cours. Les stablecoins sont ainsi utilisés pour réaliser des paiements sur certaines plateformes, faire des arbitrages entre différents ordres, ou encore échanger d’autres cryptomonnaies.
Les stablecoins sont une pierre angulaire de l’industrie. Ils permettent par exemple aux détenteurs de bitcoin de sécuriser une partie de leur portefeuille de cryptos en dollars. Pas étonnant que Binance ait tenté de mettre la main sur ce marché en développant son propre stablecoin, le BUSD – avant de se voir stoppé par le régulateur financier de New York.
Mais pour Paolo Ardoino, « la demande en stablecoin vient aussi de pays comme la Turquie , l’Argentine ou le Vietnam, qui ont besoin de dollars pour se protéger contre la dévaluation de leur monnaie ». « Plus de deux milliards de personnes sont toujours non bancarisées et le bitcoin et l’USDT sont une alternative à la monnaie fiat dans ces pays », fait-il valoir.
Le spectre du risque systémique
Cet enjeu d’inclusion financière reste néanmoins loin d’être celui de la majorité des détenteurs d’USDT. Après l’effondrement du stablecoin Terra, qui a précipité le marché vers un cryptokrach en mai 2022, l’USDT a perdu son ancrage historique avec le dollar, avant d’être encore secoué par la faillite de FTX quelques mois plus tard. Mais l’échec de Binance et de Circle à contester la domination de l’USDT ont finalement fait les affaires de Tether.
Plus que jamais, Tether confirme son statut de reine des stablecoins. Depuis le début de cette année, sa valorisation a grimpé de 10 milliards de dollars et il tutoie désormais les sommets atteints avant le cryptokrach. « Ce n’est plus un marché, c’est uniquement Tether », met en avant Paolo Ardoino. Le directeur technique concède toutefois que cette domination n’est pas que bénéfique. Pour le « développement de l’industrie », il vaudrait mieux avoir, selon lui, plus de concurrence. Et puis, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités et, avec une telle taille, Tether a sur ses épaules un risque systémique.
Enfin plus de transparence
De quoi raviver la controverse sur les réserves de Tether, qui doit pouvoir garantir en permanence chacun des USDT en circulation. Soit donc, actuellement, près de 80 milliards de dollars ! Après avoir joué au jeu du chat et à la souris avec les autorités américaines en raison de son incapacité à fournir un audit prouvant des réserves suffisantes, ou de mettre au clair ses liens avec Bitfinex, Tether joue désormais la transparence. L’émetteur de l’USDT fait ainsi appel au cabinet comptable BDO pour fournir un audit régulier de ses caisses.
Dans son dernier rapport, le cabinet affirme que Tether dispose d’au moins 67 milliards de dollars, et de réserves supplémentaires minimales de 960 millions. Paolo Ardoino assure que les profits de Tether vont de nouveau atteindre les 700 millions au premier trimestre de cette année, et les réserves excédentaires elles, 1,6 milliard de dollars. Tether a également maintenu sa promesse de réduire à zéro son exposition au papier commercial en 2022.
« Cela fait de Tether l’un des actifs les plus sûrs dans ce contexte d’instabilité bancaire », estime le dirigeant, d’autant que plus de la moitié des réserves sont indexées sur des bons du Trésor américain. C’est l’une des garanties de liquidité les plus solides du marché, car toujours remboursable en dollar. Mais bien au coeur du système financier traditionnel.