Goldman Sachs lance son plus grand plan de licenciements depuis 2008

Publié le 11 janv. 2023 à 19:33Mis à jour le 11 janv. 2023 à 19:42

« Vous travaillez chez Goldman Sachs ? » « Not anymore ». Mercredi matin, dans l’air glacial du sud de Manhattan, un jeune homme acte au pied de l’immeuble du 200 West Street le changement de cap au sein de la banque. Un coup de fil, dix minutes d’entretien individuel dans une salle de réunion et juste le temps d’appeler un Uber à l’arrière de l’immeuble pour clore un chapitre de vie professionnelle. Pas de cartons, pas de traders désespérés, pas de chaînes de télévision : une sortie en toute discrétion, bien dans le ton de Goldman Sachs, la banque qui n’affiche même pas son nom sur sa façade.

Le groupe a engagé cette semaine un plan de licenciements qui touchera 3.200 personnes dans le monde, soit 6,6 % des 48.500 salariés décomptés à fin septembre, selon une source proche. Il s’agit des plus importantes coupes depuis la crise financière de 2008. Si elles contrastent avec les mesures nettement plus modestes annoncées ces derniers mois par d’autres banques, elles interviennent après d’autres vagues de licenciements importantes dans la tech, notamment chez Amazon ou Salesforce .

Tous les pays sont touchés mais les suppressions sont définies en fonction de la présence de Goldman Sachs : de facto, les Etats-Unis le seront davantage. « La France est concernée, mais à l’échelle du groupe, ce sont des décisions à la marge, selon une source proche de Goldman. Cela ne remet pas en cause le déploiement de long terme de Goldman en France sur toutes ses lignes de métiers, qui va se poursuivre ».

Avec son plan, Goldman Sachs prend la mesure du retournement des marchés financiers, et de sa propre stratégie. Après avoir recruté à tour de bras pendant la pandémie – plus de 25 % en trois ans -, quand Wall Street atteignait des sommets, le groupe doit faire machine arrière : les introductions en Bourse ont marqué un coup d’arrêt l’an dernier, tout comme les fusions-acquisitions (M&A), dont il est le leader mondial. Au troisième trimestre, son résultat net a plongé de 43 % sur un an, à 3 milliards de dollars. La banque publiera ses résultats annuels le 17 janvier et détaillera sa stratégie aux investisseurs le 28 février.

Les écarts se creusent

Alors que par beau temps toutes les banques américaines enregistrent de belles performances, les écarts se creusent dans les moments plus tendus, note un grand banquier européen. Dans le cas de Goldman Sachs, cela se traduit par un ratio « price to book » (qui rapporte la valeur boursière d’une entreprise à sa valeur comptable) nettement inférieur à celui de sa grande rivale Morgan Stanley, et de JP Morgan.

« Morgan Stanley a musclé depuis dix ans sa gestion d’actifs qui est vraiment devenue une troisième jambe. Dans le même temps, Goldman Sachs a connu de belles années grâce à sa franchise dans le conseil M&A, mais souffre à présent que les taux remontent », poursuit cette source.

Or Goldman Sachs n’a pas réussi dans le même temps à se diversifier dans la banque de détail, comme il en avait affiché l’ambition en créant Marcus, une offre en ligne de dépôts rémunérés et de prêts. Foyer de lourdes pertes, l’activité est désormais fondue dans la gestion d’actifs et la gestion de fortune. Et le PDG David Solomon a désormais acté un coup de frein sur la conquête de nouveaux clients à l’automne.

Les avions d’affaires revus à la loupe

La vague de licenciements s’accompagne d’un plan de réduction des coûts. Les bonus des traders vont être révisés en forte baisse, et quelques mesures symboliques, comme la décision d’acheter deux avions d’affaires il y a trois ans, sont revues à la loupe, selon le « Financial Times ». « A l’échelle de Goldman, il ne s’agit pas nécessairement de grandes sommes, mais l’exemple doit toujours venir du sommet », rappelle un banquier.

D’autres banques américaines ont recruté en masse pendant la pandémie, et elles s’adaptent souvent rapidement à la conjoncture, mais le coup d’accordéon sur les effectifs chez Goldman Sachs est un nouveau coup de projecteur sur la gestion de la banque par David Solomon. Surnommé « D-Sol » pour ses talents de DJ, il avait pris la succession de Lloyd Blankfein fin 2018 en promettant une nouvelle culture d’entreprise après une série de scandales et de meilleurs rendements pour les actionnaires. « Si dans les deux ans la situation n’est pas rétablie, le conseil d’administration pourrait se retourner contre lui », estime le même banquier.

Solveig Godeluck et Véronique Le Billon, avec Anne Drif et Edouard Lederer (Bureau de New York)