
Londres, 27 octobre 2022. Les spécialistes des métaux chez le négociant Trafigura sont sur un petit nuage. Et pour cause, le groupe vient de boucler une année historique avec un résultat net de 7 milliards de dollars , et la fête à la LME Week, grand-messe du secteur organisée par la Bourse des métaux de Londres, bat son plein. Pourtant, une décision de la banque Citi va brutalement les ramener sur Terre.
L’établissement américain vient de couper une ligne de crédit accordée à Trafigura pour toutes les opérations réalisées avec un partenaire indien sur du nickel. Cette décision va précipiter la découverte d’une gigantesque fraude estimée à 577 millions de dollars , l’une des plus importantes de l’histoire des métaux.
Pour bien comprendre de quoi il retourne, il faut d’abord se pencher sur les différentes manières de gagner de l’argent dans le négoce. En règle générale, les traders profitent des différences de prix dans le temps ou dans l’espace. Ils achètent du pétrole ou un métal à un endroit et le revendent un peu plus cher, soit ailleurs soit un peu plus tard.
Un demi-milliard de dollars de fraude
Mais il existe aussi une autre source de revenus, très lucrative, qui s’apparente à du prêt. Il s’agit pour un acteur bien installé, ayant accès à d’abondantes liquidités, de dégager une marge en re-prêtant cet argent à des acteurs plus petits rencontrant des difficultés à se financer. Cette pratique s’est développée ces dernières années depuis que plusieurs établissements se sont retirés du secteur .
C’est sur ce type d’opération que Trafigura a été piégé. Il a noué une relation commerciale avec l’homme d’affaires indien Prateek Gupta qui consistait à lui acheter des cargos de nickel, avec l’engagement ferme que la cargaison lui serait rachetée par Gupta lui-même ou par un tiers. Le prix de revente était fixé à l’avance, de sorte que Trafigura était sûr de toucher un taux d’intérêt fixe, comme s’il avait simplement prêté de l’argent.
Des conteneurs sans nickel
Une telle opération est normalement assez sécurisée, à condition bien sûr que la matière première sous-jacente existe bel et bien. Or selon des documents judiciaires consultés par Bloomberg , après le retrait de Citi, Trafigura a découvert que ce n’était pas le cas. Le négociant a envoyé à Rotterdam des inspecteurs vérifier les cargaisons à l’avant-veille du réveillon de Noël… pour découvrir que les conteneurs étaient vides.
Si le négociant a été pris au piège, c’est aussi parce qu’il a ignoré une série de signaux d’alerte. Certains documents ne portaient pas le code « HS » pour identifier la marchandise transportée, par exemple. Le négociant n’aurait pas non plus insisté pour obtenir systématiquement tous les certificats d’analyse du métal. Il aurait même payé les cargaisons avant de les vérifier.
Défaut de vigilance manifeste
Le manque de vigilance a été reconnu par l’état-major lui-même. « Vous pouvez mettre en place tous les systèmes de contrôles et de vérifications que vous voulez, a expliqué le directeur général de Trafigura Jeremy Weir, vous ne pourrez jamais être sûr de ne pas avoir de problème ». Un vaste audit interne a été lancé pour renforcer la gestion du risque.
« Il y a manifestement eu des défauts de procédure chez Trafigura puisque la prise de risque a été beaucoup trop élevée sur de telles contreparties », résume Jean-François Lambert, consultant et ancien responsable du financement du négoce de matières premières chez HSBC.
Mais pour le négociant Trafigura, les conséquences seront en réalité assez limitées. La perte financière intervient après une année faste. Une fois les procédures révisées, le trader devrait conserver la confiance de ses financeurs. « Les banques ayant l’habitude de financer le négoce de métaux vont dorénavant se montrer plus circonspectes sur ces opérations », nuance le consultant.