L’inflation se diffuse à l’économie et complique la tâche de la BCE

Le pire cauchemar des banquiers centraux est-il en train de devenir réalité ? En Europe et aux Etats-Unis, les indices des prix se succèdent et la réalité s’impose : l’inflation est sortie de son tube et les effets de second tour se précisant, il ne va pas être aisé de l’y faire rentrer.

Le taux d’inflation de la zone euro n’a quasiment pas baissé en février (+ 8,5 %). Plus inquiétant, l’inflation sous-jacente, hors éléments volatils comme l’alimentation et l’énergie, continue à progresser, atteignant 5,6 %. « En 2022, l’inflation traduisait les tensions sur le prix de l’énergie. En 2023, l’inflation traduit la diffusion de ce choc énergétique sur le reste de l’économie. », résume Philippe Waechter chez Ostrum.

L’apparition d’effets de second tour oblige la Banque centrale européenne (BCE) à rester sur le pied de guerre et donne du poids aux « faucons » de l’institution, les partisans d’un resserrement monétaire vigoureux, comme le président de la Bundesbank, Joachim Nagel, celui de la Banque des Pays-Bas Klaas Knot, et l’allemande Isabel Schnabel, membre du directoire.

Dans la douleur

Déjà, les marchés ont commencé à intégrer un scénario de resserrement monétaire plus vigoureux que prévu. Dans la douleur. En une semaine, les taux allemands se sont tendus de quasiment 30 points de base à 2 ans (3,20 %). Le rendement du Bund allemand à 10 ans a dépassé les 2,75 % en séance. En France, le taux de l’OAT à 10 ans est supérieur à 3,20 %. Les prix de marché intègrent désormais un niveau maximal du taux de dépôt de la BCE à 4 % voire 4,1 %. Et les stratèges de marchés des banques, eux aussi, refont leurs calculs. Les économistes de Goldman Sachs qui avaient revu leur prévision du taux terminal de la BCE à 3,5 % il y a seulement quelques semaines, viennent de le porter à 3,75 %.

Le phénomène d’ajustement sur les taux n’est pas limité à l’Europe. Aux Etats-Unis, l’ensemble des taux, à court comme à long terme, a désormais franchi la barre des 4 %. Le rendement des T-bonds à 30 ans, dernière maturité à passer cette barre symbolique, l’a franchie après des statistiques sur l’emploi robustes montrant que les demandes d’allocations chômage américaines avaient diminué la semaine dernière et que les coûts unitaires de la main-d’oeuvre avaient augmenté.

Un risque que la BCE en fasse plus

A la BCE, les débats promettent d’être vifs. « Les discussions devraient être plus animées sur le signal qu’ils veulent envoyer par la suite », commentent Hugo Le Damany et François Cabau chez Axa IM. Pour eux, « il y a définitivement un risque que la BCE en fasse plus que ce que nous anticipions jusqu’à maintenant. La probabilité qu’elle relève ses taux de 50 points de base en mai puis de 25 points de bases en juin a augmenté ».

Le compte rendu de la réunion de février comme les dernières déclarations de ses membres soulignent, il est vrai, la détermination de la BCE à poursuivre le relèvement de ses taux au-delà de la réunion de mars. Mais « de nouvelles hausses de taux ne recevront pas nécessairement le même soutien au sein du Conseil des Gouverneurs, car plus la BCE s’aventure loin en territoire restrictif, plus le risque d’effets négatifs sur l’économie augmente », prévient Carsten Brzeski chez ING.

Deux options s’offrent à l’institut de Francfort après mars, selon lui : « attendre de voir l’impact de son resserrement sur l’économie ou le poursuivre jusqu’à ce que l’inflation de base commence à baisser de manière substantielle ». La nouvelle mouture de l’enquête sur le crédit bancaire et la première estimation de la croissance du PIB au premier trimestre seront publiées entre la réunion de mars et celle de mai. De quoi « faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre », estime l’économiste qui s’attend, lui, à deux hausses de 25 points de base chacune en mai et en juin, avant une période de pause et d’observation assez longue.